On le sait, c'est de notoriété publique, le matin, avant le premier café, FAUT PAS ME PARLER.
Mon meilleur ami et ex-colloc l'avait bien noté en son temps, quand Ghazz, lui même véritablement adorable au réveil, tentait désespérément de me rendre le sourire.
"Mon amour, je te fais un thé?"
"grmfffnon."
"un café? Un cappuccino? une tartine?"
"Chai pas. Trop tôt.Ca me saoule. -réflexion intense du cerveau embrumé- oh et puis merde, JE SAIS PAS!"
Patience d'ange de Ghazz qui me fait un café quand même en attendant que l'orage passe.
Oeil moqueur du meilleur ami (appelons le Cube)
"Hey mais toi le matin t'es pire qu' un dragon sanguinaire! Comment tu veux qu'il devine?"
"grmffoccupetoidetesfessestagueule."
Rien de tel pour provoquer un fou rire des deux zoziots, moqueur (et mérité!).
A partir de ce jour, Cube a entretenu avec la régularité d'une horloge la légende de mes matins chagrins.
Depuis mon fils, le matin a quand même bien meilleur goût.
Il faut le réveiller, et toute bonne pâte qu'il est, il est ravi de voir ses parents au réveil.
Lui donner le sein, le voir heureux comme ça, ça vous dériderait n'importe qui.
Ce matin, l'allaitement étant fini depuis près d'un mois, je suis de corvée de bib.
Déjà dans la douche, mon mari s'inquiète de me voir cernée.
"Bien dormi?"
"non."
"Faut qu'on baisse le son du baby phone, hein"
(brosse a dent en bouche) "grouipf"
"je te fais ton café?"
"oui, merchi"
"tu as froid non?"
"...! laiche moi tranquille!"
Le pauvre Ghazz se sauve, pour me faire mon café, quand même.
Douche tiedasse, desembrume de cerveau.
On enchaîne avec le bib. Je lève mon fils. Comme n'importe quel bébé très curieux, il ADORE tourner la tête de droite à gauche et vice-versa pour ne rien louper de notre extraordinaire couloir, qu'il voit pourtant absolument tous les jours.
Bref, quand je me pose dans le canapé, bib dans bouche de bébé, j'ai déjà pris 2 coups de boules dans le nez.
Mauvaise fortune, bon coeur, tout ça tout ça,on continue sans broncher.
Enfilage de mes bien aimées ballerines qui ont supporté ma grossesse, ayant survécu à mon poids + le poids de mon bébé + mon surpoids.
Je pars sans finir mon café (grave erreur!) à 07h35.
En bas des mes 6 étages je me rends compte qu'il est 38. Un trou spaciotemporel m'ayant avalé 3 minutes, va falloir que j'accélère si je ne veux pas louper mon train.
Marche rapide pour y être.
Accrochage de ballerine sur le trottoir mordeur qui me montre une semelle béante. Éclair dans ma mémoire embrumée : c'est pour çaaaaaa qu'elles étaient au fond du placard! Sans un coup de colle là-dessus, le pied gauche ressemble à un poisson affamé!...
Bon tant pis, je continue, là pour changer,c'est mort de chez mort.
Train court, donc bondé, appuyée contre la porte, un monsieur essaye de me pousser du pied. Peine perdue contre mon poisson boulimique.
Arrivée gare du nord, idée lumineuse. Avec toutes ces boutiques qui te hurlent de consommer à tout prix avant ou après ton train/rer/métro (rayez la mention inutile) il y a bien une petite paire de ballerines pour sauver mes pieds d'une honte intersidérale au boulot.
Parce qu'on a beau être dans un service client téléphonique, ça ressemble plus à un défilé de Guess qu'au club des geeks anonymes la-bas.
Boutique 1 : beurk, moche, pas de 41.
Boutique 2 : une boite en 41, contenant un truc jaune fluo verni, à talons, que même pendant ton enterrement de vie de jeune fille déguisée en gros poussin d'inspiration "au revoir président" tu n'oses pas les mettre.
Un "j'peux vous aider?" strident me parvient.
1m50, plus maquillée qu'une voiture volée, ridée comme un sharpay.
Transpire l'envie de me surveiller plus que de m'aider vraiment.
Je lui annonce ma requête, simple. Des ballerines plates, en 41.
Elle file au fond du magasin, je la suis.
"Non, en 41, j'ai pas."
silence gênant, j'attends la tentative de vente complémentaire qui ne vient pas.
J'ai pas exactement que ça à faire : "Bon bah au revoir..."
Pas de réponse.
Apparemment toi aussi, t'es pas du matin. Mais bon, par principe, t'es pas prête de me revoir dans ton bouiboui! (greuh!)
Boutique 3 : une seule paire de ballerine, j'ai la même à la maison, si j'achète ça c'est l'incident diplomatique avec Ghazz assuré, je ne regarde même pas la taille. Je me sauve.
Boutique 4 : 36, 36, 36, 38, 37. Même pas un 40"qui taille grand" (comme on m'en a promis des merveilles de ce type! moi qui fait un VRAI 41!).
Boutique 5 : ah bah y'a pas de boutique 5.
Par dépit, je m'engouffre dans le métro, bien énervée, avec Rammstein dans les tympans qui hurle (je traduis pour les germanophobes) "J'ai PAS ENVIIIiiie".
Tout à fait de circonstance.
Une fois assise dans le géant de ferraille, je constate l'ampleur des dégâts.
La semelle était déjà décollée, certes.
Mais là c'est plus grave.
La petit fraîcheur que je sentais sur mes orteils avait une vraie raison.
Elle est carrément ouverte en deux.
Mais la honte quoi, moi qui ai fait un effort ce matin pour être femme jusqu'au bout des ongles (désolée mais je ne supporte pas Sardou...)
Je constate, toute parano que je suis, que tout le monde s'en contrefiche de mes pieds.
Un message plein d'amour de mon mari adoré me redonne le sourire.
L'accueil enjoué d'une collègue que j'adore en bas des ascenseurs en rajoute une couche.
Je reprends un café parce que le café rend immortel, c'est bien connu.
Pour le moment aucun incident à déplorer, mon aération plantaire a l'air de passer inaperçue...
OUF!
(Et heureusement, le matin, ça passe vite...)